Victimes d’attentats

Interview de Viviane Batton Paillat par Virginie Martin Politologue et Sociologue

VM : Pourquoi et en quoi est-ce important qu’il existe un portage politique très visible des victimes d’attentats ?

VBP : Je suis persuadée qu’une victime, quelle qu’elle soit, a besoin de reconnaissance. Lorsque la société participe à cette reconnaissance grâce à sa justice, à sa solidarité médicale, financière, juridique, la victime peut commencer à guérir de ses blessures psychiques en se sentant soutenue. La reconnaissance permet de « panser d’autres plaies » aussi, celles du cœur et de l’esprit, bien sûr. Ceux qui ont perdu un être cher, ceux dont l’être cher reste abimé physiquement, moralement, doivent pouvoir avoir le soutien de notre pays aussi. Tout Etat doit montrer qu’il s’intéresse à ses concitoyens victimes quelle que soit la famille politique en place.

Je ne sais exactement ce qui est proposé aujourd’hui aux victimes d’attentat, mais une chose est sûre, c’est qu’il est important qu’elles trouvent une écoute attentive de leur souffrance physique et/ou psychique. Il est important aussi qu’elles soient mises au courant des séquelles possibles suite à un tel choc et de l’aide actuelle innovante et efficace qu’elles peuvent trouver grâce au domaine de la psychotraumatologie. Une reconnaissance sociétale bien au-delà des quelques jours suivant les attentats permettra un accompagnement adapté au psychotraumatisme. Les victimes atteintes physiquement et/ou psychiquement doivent sentir que leur Etat ne les « laisse pas tomber » et trouver facilement son soutien même longtemps après le traumatisme.

En effet, des symptômes psychiques peuvent apparaitre dans les jours, les semaines, les mois mais aussi des années plus tard. De plus, l’étendue des dégâts va bien au-delà de l’atteinte physique sur les lieux. Ceux qui s’en sont sortis – c’est-à-dire dont le corps n’a pas été mutilé – sont aussi à prendre en considération et en charge. Leur vie peut avoir basculé ce jour-là. Ce n’est pas parce qu’on n’est pas blessé physiquement qu’on est indemne. Malheureusement ils entendent trop souvent, « oui mais toi tu n’as rien eu ». Or, une vie qui bascule, c’est bien souvent, une perte d’emploi, une détérioration de la vie affective, familiale et sociale. En bref c’est l’isolement. L’incompréhension de l’entourage par manque d’informations sur les séquelles d’un tel événement, peut même mener à une culpabilisation de la victime à long terme qui s’entend dire « en être encore là après tout ce qu’on a fait pour toi ! ». On appelle cela la traumatisation secondaire. Pour en arriver à dire des choses pareilles à une personne aimée, ne faut-il pas aussi souffrir d’un sentiment d’impuissance terrible, et ne plus savoir quoi faire pour aider l’être aimé ?

Je me rappelle en 2008, une patiente me parlant de son frère de 34 ans, devenu clochard. Il errait dans les rues de Saumur, en chemise déchirée, hagard, désocialisé, agressif, coupé de tous. C’était un étudiant de 19 ans joyeux, investi dans ses études, réussissant, aimant lorsqu’il est sorti à peine blessé du métro St Michel le 25 juillet 95.

L’étendue d’un traumatisme va donc bien au-delà du choc physique et bien au-delà du lieu de catastrophe. Il accompagne une vie entière de ses conséquences.

Un traumatisme c’est un événement hors du commun, vécu avec un sentiment d’impuissance totale à changer le court des choses, devant l’horreur de la mort imminente, la sienne ou celle d’autrui, ou de la perte de son intégrité. Il y a un avant et un après. Les personnes ne seront plus jamais les mêmes si  un accompagnement psychothérapeutique adapté n’est pas proposé. L’OMS recommande actuellement à tous les états du monde d’informer les personnes victimes d’attentats des bienfaits de la prise en charge par la neuropsychothérapie EMDR et de les en faire bénéficier.

Mais on peut être devant sa télévision et être traumatisé aussi en étant spectateur de l’horreur comme si on y était. Là, je me rappelle une jeune patiente de 12 ans, venue consulter quelques mois après le 11 novembre 2001, pour trouble du sommeil, apathie, tristesse, désinvestissement scolaire. Elle était restée seule devant son poste, à regarder en boucles les deux tours tomber et les images saisissantes de l’après. Repasser en boucle les images de drames ne fait que contaminer à grande échelle notre population.

Un cardiologue de Toulouse a recensé après l’attentat de Charlie une augmentation de 150% de problèmes cardiaques dans son service. Et ce, seulement, dans les quelques mois après Charlie. Il attribuait grandement cette flambée au stress engendré par la démultiplication des informations. Je suis persuadée que nul n’a besoin de connaitre l’horreur dans le détail. « Le poids des mots, le choc des photos » est à mon avis la plus traumatisante de toutes les sortes d’information. Ça a été, à mes yeux, en pleine inconscience, un tournant sociétal néfaste pour nos cerveaux.

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