Il y a un Humain sous la blouse blanche ou l’uniforme
Interview de Viviane Batton Paillat par Virginie Martin Politologue et Sociologue
VM : Dans la chaîne des gens traumatisés, on parle très peu des pompiers, des soignants, des urgentistes, des policiers, bref de tous ceux qui portent un uniforme, et pourtant selon vous ils devraient recevoir des aides importantes et devraient être parmi les premiers traités… pourquoi et comment ?
VBPJe suis heureuse que vous me posiez cette question. Je suis très sensible au vécu des intervenants du secours civil et à la prévention des risques psychosociaux de ces professionnels, auxquels sont demandés des comportements d’exception. Le stress et le Trauma de l’intervenant du secours civil est à mes yeux un sujet brûlant. Ces humains ont fait de leur vie une mission de secours mais quel secours psychotraumatologique leur apporte-t-on pour les aider à continuer de vivre dans les meilleures conditions ?
Je cherche actuellement des fonds pour que les intervenants du secours de Maine-et-Loire, la région dans laquelle je vis, puissent avoir accès gratuitement au sein de l’association QVIS (Qualite de Vie de l’Intervenant du Secours) que je suis en train de créer par ailleurs, pour un accompagnement psychotraumatologique innovant de gestion antistress.
Lors du 11 septembre 2001, une cellule de crise a été mise en place immédiatement près du lieu du drame pour accueillir les rescapés sidérés. Lorsqu’ils passaient de l’état de stupeur à une possibilité de parole, ils étaient orientés vers d’autres psychologues qui les aidaient à mettre en mots leur vécu traumatique, et lorsque les émotions montaient enfin, ils étaient pris en charge par des praticiens EMDR qui les aidaient à libérer leur cerveau émotionnel de leur traumatisme.
Mais il n’y avait pas que l’accueil des rescapés. Régulièrement les policiers et les pompiers sur site venaient libérer leurs émotions auprès des praticiens EMDR pour retrouver leur équilibre émotionnel et retourner sur le terrain. Les psychologues du premier accueil, du second accueil, les praticiens EMDR eux-mêmes déchargeaient les émotions accumulées dans ce climat d’horreur, avec la thérapie EMDR pour rester efficaces sur le terrain. Les soignants, les urgentistes, étaient également détraumatisés régulièrement pour garder le contrôle d’eux-mêmes nécessaire à continuer de porter secours.
Les intervenants du secours civils sont des humains comme les autres. Ils ont une vie privée comme tout le monde, un cerveau comme tout le monde mais une vie professionnelle différente. Lors de leurs interventions ils sont souvent confrontés aux situations les plus stressantes et aux visions les plus horribles qui soient sur terre. Mais leurs cerveaux, comme ceux de tout le monde, ne sont pas faits pour vivre l’horreur et leur corps n’est pas fait pour supporter l’effroi, d’autant qu’il doit être enduré de manière répétée. C’est pourquoi il est important de considérer l’Humain, l’homme, la femme sous l’uniforme ou la blouse blanche.
Il y a des tas d’idées fausses sur les intervenants du secours : on leur attribue plus de solidité, de résistance au stress, de capacité de supporter l’insupportable. Ils sont motivés à porter secours et on les croit immunisés contre les événements marquants. Non, le policier, le gendarme, l’urgentiste, le pompier, le personnel du SAMU, le réanimateur, l’humanitaire, chaque secouriste est un humain comme les autres, avec ses forces et ses failles. Il a sa propre capacité à gérer son stress. Et c’est grandement fonction de son histoire personnelle, de son vécu passé et de son présent.
Il a un organisme sensible au stress comme tout autre, qui ne s’habitue pas aux expériences traumatiques mais s’abime au fil des chocs répétitifs au contraire. On ne lui apprend pas à gérer ses émotions avant, pendant et après les interventions mais à contrôler les situations.
Même le cerveau des plus forts subit des dégâts majeurs s’il est confronté à des situations d’exception. L’horreur, la souffrance humaine qui sont les caractéristiques insoutenables des interventions de secours, nuisent à long terme au bon fonctionnement du cerveau. Petit à petit, sous son uniforme, l’humain subit de plus en plus sa vie.
Grâce à vous Virginie, à votre intérêt pour ce sujet, à cette question cruciale que vous venez de me poser, je souhaite attirer l’attention de personnes sensibles à la souffrance quotidienne des acteurs du secours civil en mission, conscients de cette réalité psychosociale et de ce besoin sociétal : « Aider ceux qui aident ». Les intervenants du secours sont aujourd’hui confrontés à des situations bien plus traumatisantes qu’autrefois et ont besoin d’une aide bien plus adaptée. Ils ont besoin d’une authentique reconnaissance de leur problématique, d’une attention particulière, d’une prise en charge personnelle et d’un suivi psychotraumatologique en rapport avec leurs « séquelles psychosociales ». Le danger est d’autant plus pernicieux que les conséquences ne sont pas toujours immédiatement visibles. Les intervenants du secours civil, victimes de traumatisation, souffrent parfois pendant une longue période avant de capituler, de craquer, épuisés psychiquement, mentalement et/ou physiquement.
Tout doit être fait pour donner le meilleur accompagnement possible aux intervenants du secours. L’irréparable doit être évité pour ne plus créer de nouveaux orphelins. Il n’y a pas pire que d’être un enfant de suicidé. Le chemin montré par le parent à bout est un chemin de mort alors que le chemin à suivre pour un jeune humain est un chemin de vie. Notre société doit se faire un devoir de ne pas laisser ces hommes et ces femmes qui nous portent secours être à bout. Je souhaite être aidée pour insuffler quelque chose de nouveau dans leur accompagnement.