Les intervenants du secours et la violence actuelle

Interview de Viviane Batton Paillat par Virginie Martin – Politologue et Sociologue –  novembre 2017.

VM : Les sentinelles semblent à bout, on fait face à une vague de suicides chez les policiers, et aujourd’hui un rescapé du Bataclan s’est suicidé. Nous semblons, avec ce contexte de terrorisme, être rentrés (plus que jamais) dans une société des traumatismes. De façon plus générale est-ce que nous ne sommes pas dans une société des chocs psychologiques (violences sexuelles), des stress (burn-out et suicides au travail) et des très grands traumatismes comme les attentats. Plus qu’une société violente, c’est une société contemporaine difficile, stressante, et qui épuise in fine les organismes. Êtes-vous d’accord avec ce constat ?

VBP : Merci, Virginie d’aborder ce grave problème de société, lié à notre Humanité. Je ne pense pas qu’on rentre plus que jamais dans une société des traumatismes mais plutôt que les psychotraumatismes touchent de nouveau plus d’humains. Les psychotraumatismes ont toujours existé et déjà les romains en parlaient. Comme vous l’évoquez, il y a, en effet, les violences sexuelles qui existent depuis la nuit des temps. Les hommes conquérant de nouveaux espaces par la force, ont implanté depuis toujours et à toute époque leurs gênes sur les territoires conquis en violant les femmes. Et dans tous les milieux des actes pervers en tout genre sont venus s’y ajouter sur des enfants, des femmes et sur d’autres hommes aussi et même par des femmes. Il n’y en a pas plus qu’avant dans ce domaine, me semble-t-il, la différence est qu’aujourd’hui les victimes commencent à oser en parler.

Il y a l’horreur des guerres aussi : ces génocides qui ont touché toutes les régions de notre globe. Aucun pays n’a malheureusement été épargné là aussi depuis toujours. Mais les moyens militaires mis en place depuis la 1ère guerre mondiale ont démultiplié les psychotraumatismes. C’est du reste à partir de ce moment-là que les psychiatres ont commencé à s’interroger sur les comportements des militaires revenus de la guerre. Dans ces périodes horribles, non seulement les soldats sont victimes de stress aigu en mission, mais les populations elles-aussi sont victimes de l’horreur. Soldats et civils sont victimes de guerre et souffriront des conséquences de psychotraumatismes. Toute personne vivant l’effroi risque de se retrouver en état de stress post-traumatique. La souffrance imposée aux peuples de notre Terre franchit les époques. On sait aujourd’hui que les chocs psychiques abiment des gênes et que ces gênes peuvent être transmis aux descendants qui eux aussi portent le poids du trauma sur plusieurs générations. La violence engendre la violence. La guerre a fait le tour du monde. La population mondiale est abimée.

Nous n’avions plus de guerre sur notre territoire, ce qui n’empêchaient pas nos soldats d’être traumatisés lorsqu’ils intervenaient à l’internationale. Nous n’assistions plus en direct à l’horreur de l’Homme sur l’Homme. Les attentats ont remis sur notre territoire la violence sur notre peuple, l’insécurité dans tout instant, dans tout lieu. La présence des forces de l’ordre dans les gares ou ailleurs en sécurise certains mais pour beaucoup c’est le rappel de l’insécurité du moment et la réactivation neuronale des traumas.

De plus, après une période salutaire de paix après la seconde guerre mondiale, période florissante sans souci majeur pour trouver et garder son travail, l’accroissement de population, les exigences croissantes et démesurées de productivité, mondialisation, la compétitivité qui en découle, la réduction d’effectif lié au coup démesuré des charges patronales, ont imposé des rythmes de travail ne correspondant plus à ce que nos organismes peuvent supporter. Il y a trop de sollicitations, de surstimulations et pas assez de possibilités de vivre au travail l’instant présent en quiétude. Nos organismes ont besoin de retours à l’état d’équilibre. C’est indispensable pour conserver sa santé psychique et sa santé physique. Les sollicitations trop nombreuses créent du stress cumulatif. Certaines peuvent mener au stress chronique et risquer d’emmener certains d’entre nous vers l’épuisement voire le burn-out et d’autres au suicide.

Le stress est la réaction d’adaptation de l’organisme au milieu dans lequel il doit survivre. Sans stress il n’y a pas de vie. Trop de stress – cumulatif ou chronique – rend malade et tue la vie.

Alors oui, je suis d’accord avec ce constat « la société contemporaine induit un mode de vie devenu très difficile et trop stressant » d’autant que, même dans leur « chez eux », les humains sont assaillis « en live » par les problèmes du dehors. Le cocon n’est plus un havre de paix. Il suffit d’ouvrir sa télévision, sa radio, son téléphone, son ordinateur, sa tablette pour connaitre les catastrophes et les horreurs du monde et ce jusqu’à l’heure du coucher pour beaucoup. Les informations journalières sont toutes plus négatives les unes que les autres. Elles sont reprises en boucle sur plusieurs jours et remises à l’ordre du jour des années plus tard. Quelle en est l’utilité ? Ne suffit-il pas d’avoir tous été blessés psychiquement lorsqu’un événement horrible s’est produit ? Faut-il encore et encore raviver les chocs anciens dans les cerveaux et dans les cœurs au lieu de laisser le temps effacer les blessures en se centrant sur les bonheurs de la vie ? Ne peut-on pas commémorer sans repasser des scènes de guerre in vivo et des visions insoutenables ? Les français sont devenus tristes et pessimistes. Le stress transforme les états d’être.

Et puis il y a les films, les jeux vidéo, etc … remplis de violence dont les cerveaux émotionnels de nos jeunes finissent par être saturés et dont les neurones miroirs intègrent des schémas de violence qui peuvent être restitués par des comportements agressifs sur la société.

Lorsque le stress excessif prend le dessus, la société tombe malade et les intervenants du secours sont aux premières lignes des risques de traumatisation. Les tensions extrêmes et les visions d’horreur auxquelles ils sont exposés bien plus souvent qu’avant la recrudescence de la violence actuelle, les fragilisent malheureusement à leur insu et peut les entrainer vers l’état de stress post-traumatique, le burn-out ou le suicide.

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